29 novembre 2011

Le fantasme du financement de l’Etat par la Banque Centrale et de la « loi de 1973 ».

Les difficultés de financement des Etats européens ont déclenché une crise majeure qui pourrait, en mettant les choses au pire, menacer l’existence même de la zone euro. Les politiques d’austérité mises en place pour maitriser les dettes publiques déplaisent, et certains pensent qu’on pourrait y échapper, si au moins les Etats échappaient aux marchés pour leur financement. Dans certains milieux (très généralement de gauche ou de la droite souverainiste) on pense avoir une solution évidente : si les marches renâclent, que l’Etat demande à la Banque centrale (européenne ou nationale, c’est selon) de financer ses déficits. De loin, ça parait être une idée : la banque centrale dispose d’une capacité de financement illimitée. On invoque une loi de 1973, qui est en passe de devenir un véritable mythe : par ce texte l’Etat s’est interdit de présenter ses effets a la Banque de France, en d’autres termes de lui faire financer sa dette. Certains présentent cette loi, renforcée ensuite par les traites européens, comme un texte clé, un cadeau fait aux banques privées qui auraient ainsi obtenu le monopole de l’endettement de l’Etat (et même, pour certains particulièrement mal informés, de la création de monnaie). En outre, comme on en veut beaucoup aux banques, on trouverait charmant de priver celles-ci de la rente constituée par les intérêts payés par l’Etat
Tout cela est en réalité, au mieux un faux problème, au pire une voie dangereuse. En tout cas cela n’a rien d’une solution. Tentons d’y voir clair.
Dans notre système monétaire, deux catégories d’acteurs peuvent créer la monnaie : les banques (par la distribution du crédit) et la Banque Centrale (la BCE depuis l’euro, avant c’était la Banque de France). La Banque centrale (BC), pour simplifier, crée sa propre monnaie en émettant les billets et en recevant dans ses livres les dépôts des banques de « deuxième rang ». C’est un peu contre-intuitif, prenons donc un exemple simple.  Quand la BNP reçoit d’un particulier un dépôt en espèces de 1000 euros, elle les crédite au compte de ce client. Son bilan enfle de 1000 euros à l’actif (les billets reçus) et de 1000 euros au passif (augmentation du solde du compte du particulier a la BNP). Il y a ici création monétaire, le bilan du secteur financier gonfle. Quand la BNP remet les 1000 euros en billets a la BC, celle-ci, en contrepartie, augmente le compte de « réserve » de la BNP de 1000 euros, exactement comme la BNP l’a fait avec son client. On voit donc qu’in fine l’augmentation du solde du compte de réserve de la BNP à la BC correspond à la création monétaire intervenue.
Revenons maintenant au déficit de l’Etat. Pour rester extrêmement simple, supposons que le budget jusqu’alors équilibre tombe soudainement en déficit de 1000, du fait d’une commande passée a l’entreprise X, et regardons comment ces 1000 voyagent dans le système.
Pour l’Etat, le déficit comptable est de 1000. Quand il règle la facture, les 1000 sont vires de son compte à la Banque centrale sur le compte de X a la BNP par exemple.
Avant le Traite de Maastricht, L’Etat pouvait se retrouver à découvert, autrement dit il recevait une avance de la BC.

Etat
Actif
Passif
Deficit
+1000
+1000
Avance BC

La BNP voit son compte de réserve à la BC augmenter de 1000 (création de monnaie !) et en contrepartie crédite le compte de son client X, bénéficiaire de la dépense de l’Etat :
BNP
Actif
Passif
Augmentation reserves a BC
+1000
+1000
compte X

Quand a X, il voit son compte à la BNP abonde et sa créance sur l’Etat réglée (« monétisée »).
 Il y a eu 1000 de création monétaire, du seul fait que l’excèdent de dépense a conduit la BC à faire une avance à l’Etat, avant même qu’on se demande qui va souscrire à un emprunt d’Etat.  Mais est que la création de monnaie qui en découle s’ajoute à celle qui est faite par les banques par la distribution des crédits. En temps ordinaires, l’accumulation des déficits se traduirait donc  continument par une création monétaire supplémentaire par rapport à celle qui découle de la marche de l’économie, ce qui pourrait déclencher une sévère inflation. Evidemment, si l’Etat émet des bons souscrits par la BC, ce problème reste entier.
Avant 1973, il existait bien  à la Banque de France un compte d’avance au Trésor qui était systématiquement débiteur, mais à un niveau plafonne : il ne faut pas penser que c’était la source habituelle de financement des déficits de l’Etat (au demeurant beaucoup plus faibles qu’aujourd’hui). La loi de 1973 à arrêté cette situation et prescrit de passer par les banques pour les émissions obligataires. Mais quel était l’intérêt ? Regardons ce qui se passe dans notre exemple quand l’Etat émet une obligation de 1000 pour « couvrir » son déficit, cette obligation étant souscrite par la BNP : la BNP acheté l’obligation à l’Etat en lui transférant 1000 de son compte de réservés a la BC. L’opération efface le découvert de l’Etat a la BC, et remet le compte de réserves de la BNP au niveau initial : à l’actif de son bilan, au lieu d’avoir +1000 de réserves a la BC, elle a +1000 de bons du Trésor.
Etat
Actif
Passif
Deficit
1000
1000
Avance BC
1000
Bon du tresor
-1000
Avance BC



BNP
Actif
Passif
Augmentation reserves a BC
1000
1000
Compte X
Augmentation reserves a BC
-1000
Bon du tresor
1000

Le fait que la BNP souscrive à l’emprunt d’Etat « draine » les réserves supplémentaires créées par la dépense publique et annule la création monétaire. Le fait de passer par le système bancaire pour « financer » la dépense stérilise l’effet, sur la masse monétaire, des déficits budgétaires et supprime le risque pour la stabilité de la monnaie.
Emettre les emprunts d’Etat auprès des banques ne relève donc pas d’un complot pour les enrichir ou d’une volonté de l’Etat de s’amputer, mais de l’orthodoxie monétaire de base. En outre, si la BC était obligée de financer directement les déficits publics, elle pourrait être contrainte à souscrire les emprunts à des prix  supérieurs à leur valeur de marche et sur des volumes exagérés. En clair, il n’y aurait aucun garde-fou a une envolée des dépenses et a un gonflement sans limite de la masse monétaire qui déstabiliserait la monnaie. Ces risques sont bien sur exactement les mêmes si on imagine que la BCE, au lieu de la banque centrale nationale, souscrit les emprunts, avec en plus la question de l’égalité de traitement des différents pays qui n’ont pas tous les mêmes situations budgétaires : l’intervention de la BCE se ferait naturellement au profit des Etats les plus déséquilibrés, éventuellement les moins bien gérés, ce qui serait une incitation à repousser des reformes nécessaires.
Bien entendu, lors de périodes de difficultés exceptionnelles et pour un temps limite, une BC peut toujours se porter acquéreuse « en dernier ressort » des bon auprès des banques, de manière à piloter à la hausse la liquidité du système bancaire. C’est ce qui a été fait aux Etats-Unis au moment de la crise financière, et récemment en Europe via la BCE. Mais on a vu pourquoi ce ne pouvait être, en soi, une politique, euro ou non.
Depuis 1993, le compte du Trésor à la Banque de France ne doit jamais être débiteur. La situation ou l’Etat bénéficie d’une avance, comme ci-dessus, est interdite. Cette disposition a été prise en 1993 dans la perspective du passage à l’Euro : la politique monétaire est du ressort de la BCE et chaque banque centrale nationale doit être rigoureusement indépendante. Le cadre de l’Euro apporte deux changements majeurs pour l’Etat : tout d’abord l’idée que sa banque centrale va « suivre » ses dépenses,  même temporairement, est complètement écartée ; ensuite, il doit prévoir en temps utile les recettes pour  couvrir ses dépenses et les remboursements des emprunts échus, et suivre un plan de trésorerie. Parmi les recettes à prévoir dans ce plan figurent obligatoirement, cette fois, les emprunts à lancer auprès  du système financier. Mais dans le fond, la logique monétaire précédente demeure : s’il y a déficit, son effet inflationniste sera compense par le surcroit d’emprunt souscrit par le système bancaire. Même cause et même effets qu’avant, la gestion prévisionnelle de la trésorerie de l’Etat en plus.
Ceux qui demandent l’intervention de la banque centrale aujourd’hui le font par défiance vis-à-vis des marches et des banques « privées ». Paradoxalement ils demandent par là ce que les marches désirent le plus. Ceux-ci ont deux craintes a l’égard des obligations d’un Etat endette : la première est que l’inflation monétaire soit plus rapide que le taux d’intérêt, ce qui ferait que l’obligation serait remboursée a terme en monnaie dépréciée. Cette crainte est faible aujourd’hui compte tenu de la situation de l’économie. La deuxième est que  l’Etat soit en défaut  et ne rembourse pas. C’est un risque sérieux pour certains Etats compte tenu de leur niveau d’endettement. L’intervention massive de la BCE, qui supprimerait de l’horizon tout risque de liquidité, est tout ce qu’attendent les acteurs des marches.
Dans la situation actuelle, alors que la défiance grandit chaque jour, et avec une récession qui s'annonce-et donc pas de menace immédiate d'inflation- une intervention lourde de la BCE parait être la seule solution de court terme pour éviter des problème plus aigus. Mais si cette intervention ne s'accompagne pas de politiques de fond visant  a rééquilibrer les comptes, cette intervention ne sera pas une solution, seulement un problème supplémentaire.

2 commentaires:

  1. [...]
    En clair, il n’y aurait aucun garde-fou a une envolée des dépenses et a un gonflement sans limite de la masse monétaire qui déstabiliserait la monnaie.
    [...]
    Parce que la masse monétaire plus connu sous le terme "actifs toxiques" émise par vos chères agents privé n'a pas déstabilisé la monnaie ?!?

    Par ailleurs, votre démonstration, en plus de demeurer obscure malgré mes bases en économie, ne mentionne en aucune manière les intérets de l'emprunt d'état cité en exemple.
    Hors il me semble que l'économie des intérets est un des meilleurs argument des tenants de la thèse du retour avant 1973.

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  2. "Parce que la masse monétaire plus connu sous le terme "actifs toxiques" émise par vos chères agents privé n'a pas déstabilisé la monnaie ?!?"

    Quel rapport avec la question posee? faut il donner de l'arsenic un malade sous pretexte qu'il a pris du cyanure?

    Quand aux interets, c'est un faux probleme, car faire tout financer par la BC sous pretexte qu'elle ne facturerait pas d'interet c'est pousser encore plus les Etats aux deficits incontroles.

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